FBT, Travail

[Travail] FBT, communication et consentement

Lorsque je rencontre un cheval, je chercher tout d’abord à mettre en place une communication fluide et dans les deux sens. Cette réciprocité est essentielle à toute la suite de mon travail : elle conditionne ma capacité à entendre tous les signaux de mal-être ou de bien-être du cheval.
Ce travail est primordial à mes yeux : en respectant la valeur du consentement du cheval, on lui permet d’exprimer tous ses doutes et questionnements, plutôt que de se renfermer jusqu’à « l’explosion »…

Cette communication est naturelle chez le cheval avec ses congénères. Il doit cependant apprendre que l’humain peut s’exprimer de manière similaire, même si différente en apparence.
Cet apprentissage passe, pour moi, par la pratique d’une « discipline » que je qualifierais plutôt de philosophie car, comme vous pourrez le constater par la suite, cette discipline formera le socle de tous les apprentissages suivants et elle sera omniprésente dans toute la vie du cheval avec nous. Cette discipline, c’est le Freedom Based Training®.

Le FBT, qu’est-ce que c’est ?

Photo prise par Leïla Pagès, à l’occasion d’un stage avec Elsa Sinclair dans l’élevage Laurence Of Arabians, en juin 2018. En photo, de gauche à droite : Kharish Hafid Bashshar, Kharish Adhem Sharif et moi. Les 2 chevaux sont des produits de l’élevage Laurence of Arabians.

Le Freedom Based Training est une philosophie d’entraînement développée par Elsa Sinclair (vous pouvez lire ses textes en anglais sur https://equineclarity.org/ ).
Il y a une dizaine d’années, elle s’est posé la question suivante :

Est-il possible de monter un cheval sans utiliser aucun outil ?

Et quand elle dit aucun outil, c’est absolument aucun…
Elle est allée chercher une jument mustang dans les troupeaux sauvages des grandes étendues américaines et lui a fourni tout le nécessaire à sa vie : de la nourriture, de l’espace et des congénères. Sans utiliser de licol, de stick, de carotte, d’aliment, ni même sa voix, elle a tout d’abord essayé d’apprivoiser la jument puis a entamé les apprentissages comme donner les pieds, le montoir et enfin, la monte.

Pour parvenir à ce résultat sans aucune possibilité de coercition ou de persuasion, elle a peaufiné une communication très fine via le langage corporel. Via un dialogue constant et un va et vient dans la prise de décision, chacune fait confiance à l’autre et cela permet d’explorer la relation du centaure encore plus profondément. Chacune a droit à la parole et toutes les décisions sont partagées : quoi de plus centauresque ?
Aujourd’hui encore, Elsa cherche à affiner cette communication encore et toujours. Elle explore différentes pistes (comme l’instauration du mouvement rythmé pour apporter la sérénité) avec plus ou moins de succès. Elle a cette humilité de partager ses avancées comme ses erreurs et ses demi-tours, d’en discuter avec chacun posément et d’apprendre autant de nous que l’on apprend d’elle. Cet état d’esprit, cette philosophie qui l’habite, les chevaux la ressentent et il est particulièrement touchant de découvrir son point de vue sur nos propres chevaux…

Selon Elsa, il existe différents leaderships qu’un humain peut prendre auprès d’un cheval :
– le leadership passif (je suis mon cheval là où il va pour engranger des points auprès de lui ; c’est une sorte d’apprivoisement, je bouge plus que lui),
– le leadership dominant (j’impose à mon cheval sa position dans l’espace en bougeant moins que lui ; c’est ce qui est aujourd’hui le plus visible dans les relations humain-équin),
– le leadership de soutien (j’aide mon cheval à prendre les décisions et je les précède d’une micro seconde de sorte que mon cheval me suive en se reposant sur moi, je bouge autant voire plus que lui si nécessaire)
– et le leadership assertif (je demande à mon cheval de suivre ma décision, même s’il ne l’aurait pas fait spontanément : je bouge autant que lui).

On peut noter que ces différents leaderships se retrouvent entre 2 individus chevaux dans un troupeau. Par exemple, le leadership passif, c’est quand 2 copains broutent ensemble et « imitent » leurs comportements mutuels, tandis que le leadership dominant, c’est plutôt quand un cheval affamé viendra chasser le copain de sa ration pour soulager son stress de nourriture.
De même, le cheval peut appliquer ces grands principes avec nous : quand nous sommes avec eux et qu’à chaque pas que nous faisons, ils en font un aussi, c’est du leadership passif (ils cherchent à rester « avec nous », « en harmonie », « dans le flow »…) ; à l’inverse quand on gonfle le cheval avec notre selle qui lui fait mal, qu’on n’a pas écouté ses protestations précédentes et qu’il est attaché, il aura recours au leadership dominant pour tenter de nous faire bouger de force (coucher les oreilles et mordre, taper, etc). Ce sont souvent ces incompréhensions accumulées qui aboutissent à un cheval labellisé « compliqué » ou « dangereux »… Mais nous y reviendrons plus tard.

Mais en pratique, tu fais quoi ?

En pratique, le FBT ressemble à de la méditation autour du cheval. On travaille sur notre respiration pour faire de la cohérence cardiaque, on étend notre champ d’attention à tout ce que surveille le cheval et on cherche à rester avec lui dans la sérénité et une communication fluide. L’objectif est de « penser cheval » le plus possible, de s’aligner sur les objectifs de son équidé pour gagner sa confiance par « imitation ».

Dans mon travail, je commence toujours par une phase où j’instaure ce mode de communication par du leadership passif. Je vais me placer autour de lui, à différentes distances et rester immobile en respirant jusqu’à ce que le cheval ait un changement de point de focus.
A ce moment-là, je me déplacerai un petit peu puis j’attendrai à nouveau un changement de point de focus pour me déplacer à nouveau : ce petit déplacement lui indique que j’ai bien entendu son « murmure ». Le cheval devient progressivement plus attentif à moi et à l’inverse, je découvre progressivement quelles sont les zones de son environnement avec lesquelles il est le plus à l’aise ou au contraire, qui le stressent plus.
C’est une présentation des plus paisibles, et chacun peut choisir la distance à laquelle il est à l’aise avec l’autre : un humain ayant peur des chevaux pourra ainsi communiquer avec eux, à 10m de distance ou de l’autre côté de la barrière… Et l’inverse est vrai pour le cheval.

Un changement de point de focus peut s’exprimer de différentes manières : l’oreille tourne dans une autre direction, les yeux changent de cible, le cheval change de touffe d’herbe, il fouaille de la queue pour chasser une mouche, etc… Ce sont tous les petits indices qui montrent que le cheval a réfléchi à un élément de son environnement : la réflexion est la clef de la curiosité et de l’apprentissage.

On considère 6 types d’état mental chez le cheval (qui sont comme un spectre dans lequel le cheval peut osciller) :
– le combat (état de stress négatif élevé où le cheval cherche à faire partir la cause du stress),
– la fuite (état de stress négatif moyen où le cheval cherche à s’écarter de la cause du stress),
– le gel mental (état de stress négatif bas où le cheval se bloque dans sa réflexion sur la cause du stress),
– la réflexion (état de stress positif bas où le cheval réfléchit à la cause du stress),
– la cession (état de stress positif moyen où le cheval laisse une place dans son environnement à la cause du stress)
– et le jeu (état de stress positif élevé où le cheval va chercher à interagir physiquement avec la cause du stress).

Il faut bien noter ici que le mot « stress » n’est pas utilisé dans sa connotation négative. On peut avoir du bon stress et du mauvais stress. Tout élément de l’environnement peut représenter un stress : on utilise le mot ici en tant que « facteur modifiant l’état mental du cheval ».
Comment les distinguer ? Par le résultat de leur influence sur nos chevaux :
=> si le cheval se sent mieux quand le stress agit (du côté de la réflexion, la cession et le jeu), c’est un bon stress ;
=> si l’état mental du cheval se dégrade suite à l’action du stress (du côté de la fuite ou du combat), c’est un mauvais stress ;
=> un stress qui provoque un gel mental (cheval figé, qui ne change pas de point de focus durant un long moment) peut à la fois aboutir sur une réflexion (positive) ou une fuite (négative). C’est un peu le point critique de notre spectre.

Un exemple de stress pouvant être à la fois positif ou négatif : le stress sexuel chez un cheval non castré ou stérilisé.
Si le stress sexuel reste « dans le vide », qu’aucun comportement de reproduction (même non abouti) n’est possible, le stress va s’accumuler et aboutir à une agressivité reportée sur les autres (hétéro-agressivité) ou sur lui-même (auto-agressivité) : le stress sexuel devient alors un stress négatif (raison pour laquelle les étalons sont pour la plupart castrés et les juments ont si nécessaire des chaleurs maîtrisées).
A l’inverse, si un comportement de reproduction est permis (étalon sur hongre ou jument poulinière ou jument stérilisée ; jument avec hongre ou étalon), le cheval ne s’en trouvera qu’apaisé et cela donne à voir des parades sexuelles des plus touchantes : le stress sexuel est alors un stress positif qui amène le cheval à se sentir mieux.
/!\ Attention, je ne parle pas ici des chevaux vivant en troupeaux mixtes pouvant subir une fatigue suite à un trop plein de stress sexuel satisfait, pouvant engendrer une dégradation de leur état (mental ou physique, avec amaigrissement voire ataxie parfois) ; je ne parle pas non plus des comportements reproducteurs non consentants que j’ai parfois pu observer, causés par une mauvaise communication entre les 2 équidés sont l’origine peut être un trop-plein de stress de diverse nature et une agressivité basale fortement augmentée.

Et après les présentations, ça sert à quoi ?

A partir d’un certain niveau d’aisance dans ce mode de communication et d’une confiance mutuelle dans nos décisions, je me sers du FBT comme d’un moyen pour obtenir le consentement.

Quand je souhaite faire une séance montée, je vais apporter ma selle et plutôt que de la poser sur le dos immédiatement, je vais prendre un moment pour demander au cheval s’il est ok pour avoir la selle sur le dos. Le cheval fonctionnant par apprentissage associatif, il associe (le plus souvent) ‘selle’ à ‘cavalier sur le dos’ et ‘travail sportif’.
Si j’ai mal travaillé dans ma progression et que ces associations sont négatives, le cheval refusera systématiquement la selle : c’est un très bon moyen pour vérifier que j’ai respecté la progressivité et le rythme d’apprentissage de ce cheval.
Si le cheval refuse ponctuellement, j’accepte sa décision qui peut être causée par des courbatures, une fatigue si la nuit a été stressante pour lui ou simplement l’envie de faire autre chose… Mon planning de travail inclue ces facteurs pour éviter la lassitude et l’ennui, ce sujet fera l’objet d’un prochain article.

A l’inverse, quand le cheval souhaite prendre une décision, comme prendre tel ou tel chemin en extérieur, il me demande avant si je suis ok pour aller dans cette direction.
Si c’est une bretelle d’entrée d’autoroute, je lui ferai une contre-proposition pour éviter qu’on se mette en danger, mais si c’est un chemin dans les bois, j’accepte volontiers de lui laisser cette décision.
C’est valable aussi quand le choix se fait entre la carrière et une balade !

Ce principe de demande de consentement lors de toute décision qui implique le couple humain-cheval renforce la confiance mutuelle et la confiance en soi.
Cela demande une certaine souplesse dans le planning de travail, puisque toute séance prévue peut tomber à l’eau si le cheval préfère faire autre chose. Mais en contrepartie, on développe une association positive systématique avec le travail, ce qui permet graduellement d’augmenter l’intensité du travail sans remettre en cause le consentement du cheval.

Et le cheval dangereux, dans tout ça ?

Photo prise par Laurence Perceval à l’occasion d’un stage avec Elsa Sinclair à l’élevage Laurence of Arabians en juin 2018. Les chevaux présents sont toujours Kharish Hafid Bashshar (gris) et Kharish Adhem Sharif (noir).
On voit ici Bashshar et Sharif dans une posture typique de ce qui est véhiculé comme « combat d’étalons » (cf infra). Les 2 sont castrés et vivaient ensemble paisiblement lors du stage. Pour l’occasion, nous les avions séparés de leurs juments, qui étaient à une dizaine de mètres, visibles.
Bashshar est un « hongre contrarié » : en plein déni de castration, il est très attaché à ses juments et cette séparation l’a fait monter dans un état de tension élevée. Sharif était plus calme, mais Bashshar est plusieurs fois venu le chercher pour le rejoindre dans son état de tension, ce qui a abouti à quelques aller-retours au galop et un face à face, qui est en photo.
Bashshar est un cheval très calme et très doux mais il a du mal à maîtriser ses émotions, quand le stress environnant est trop élevé pour lui. Il est donc primordial de travailler très graduellement avec lui, sur son rythme d’apprentissage, pour ne pas teinter négativement les associations avec le travail.
Avec Bashshar, on a un très bon exemple de cheval avec un très bon caractère mais qui peut se révéler ingérable s’il était confié à des mains trop pressées.

Pour bien comprendre l’intérêt du FBT dans le début du travail d’un cheval labellisé compliqué ou dangereux, il faut déjà comprendre qu’un cheval, comme la plupart des animaux, recherche constamment à être dans un état de tension bas.
C’est ce qui fait qu’un troupeau qui broute sans stress extérieur nous semble « paisible » : leurs niveaux de tension dans le groupe sont bas et ils favorisent tous les stress positifs dans leurs interactions.

Pour atteindre cet objectif, un cheval va naturellement appliquer une philosophie de « si ça ne me plaît pas, je m’en vais » (comportement de cession ou de fuite).
C’est très visible dans les interactions inter-équidés au moment du repas : si un cheval ayant très faim (motivation pour l’accès à la nourriture plus élevée, stress alimentaire plus élevé donc tension plus haute aboutissant à un comportement transitoire de dominance) se dirige vers le tas de grain où est déjà présent un autre cheval moins motivé, la simple arrivée du premier peut entraîner le mouvement du second. En langage verbal, on peut traduire ça par « ouhla, t’as très faim, t’es tendu, j’ai pas envie de me battre parce que ce serait trop fatigant par rapport au gain que j’aurais en mangeant mon grain tout seul, donc je vais te laisser la place et manger plus loin ».

Pour atteindre un niveau de tension de groupe bas, il ne faut pas qu’il y ait une surcharge de stress négatif dans le reste de son environnement. Ainsi, un individu qui apprécie son troupeau et sa paix, mais qui est dans des niveaux de stress négatif très élevés dès qu’il le quitte pour travailler avec l’humain, reviendra au troupeau avec un niveau de tension élevé.
Pour retrouver la synergie (ou harmonie, flow, choisissez votre mot préféré) avec son troupeau, il va soit s’apaiser et relâcher ses tensions, soit chercher à ce que son troupeau le rejoigne dans son niveau de tension : on va alors voir cet individu encourager (de manière passive ou dominante) son troupeau à « courir partout » pour être dans le même niveau de tension que lui (cf supra, le comportement de Bashshar avec Sharif).
Si ces stress négatifs sont chroniques, on pourra constater alors des comportements de dominance envers les autres chevaux apparemment « sans raison » : c’est un artefact causé par le travail avec l’humain et la constitution artificielle d’un troupeau.

Dans les steppes américaines où vivent les mustangs sauvages, on constate que les chevaux qui ont des niveaux de tension similaires suite à un même stress iront se regrouper. On a ainsi des troupeaux très paisibles d’un côté et des troupeaux très tendus de l’autre.
Dans nos troupeaux « imposés », les chevaux n’ont pas la possibilité de se regrouper ainsi, sauf dans de rares cas, ce qui engendre des comportements artificiels de dominance envers les autres individus, sans protection de ressource apparente.
(Les rares cas étant la vie en semi-liberté et grands groupes : surface supérieure à 2ha par cheval, milieux variés avec bois, points d’eau, points d’alimentation, et un nombre d’individus suffisant pour autoriser la composition libre de sous-groupes par affinités, et non par dépit.)

Vous commencez à comprendre d’où vient ce fameux cheval « dangereux »…
Aucun cheval n’est dangereux de naissance : ce sont ses interactions avec son environnement et en particulier avec l’homme qui le rendront compliqué. Plus il y aura de sources de stress négatif dans son environnement et plus le cheval sera tendu.
En réponse à ces stress, le premier instinct du cheval est la fuite, mais l’humain l’en empêche le plus souvent grâce aux outils comme le licol, la longe, le filet, etc. Le cheval ne peut donc pas s’écarter des sources de stress pour diminuer son niveau de tension : il peut y avoir deux conséquences possibles.
=> La première est la plus courante : le cheval finit par entrer dans un état dit de résignation acquise, qui le rend obéissant comme un mouton mais incapable de confiance en lui-même puisqu’il est dans un état de terreur tel que ça le rend « insensible » à ses émotions (tant qu’elles ne dépassent pas un certain seuil, auquel cas c’est « l’explosion »).
Chez l’humain, on peut le comparer au syndrome de dissociation lors des traumatismes sévères. On est cognitivement présent mais émotionnellement « muet ». Chez le cheval, ça se traduit par un état de gel mental quasi constant (soit uniquement quand l’humain est présent, soit constant et on peut alors parler de cheval dépressif).
=> La seconde est le cas qui nous occupe aujourd’hui : le cheval qui ne peut pas fuir cherchera à faire fuir et entrera dans le combat. L’escalade se fera jusqu’à la fuite du cheval, jusqu’à la fuite de l’humain ou bien jusqu’à la mort. C’est un comportement rare dans la nature mais médiatisé comme « combat d’étalon »… Généralement, le cheval commencera par se déplacer au possible (écart), puis il manifestera des signes d’agressivité (oreilles couchées, fouaillement de queue) avant de mettre en place des gestes d’agressivité (morsure, coup de pied) jusqu’aux extrêmes bien connus (cabré, ruade).

Et qu’est-ce qu’on peut faire pour arrêter cette agressivité ?

Photo prise par Laurence Perceval à l’occasion de ma visite d’achat pour Bashshar cet hiver, à l’élevage Laurence Of Arabians.
On a voulu essayer le likorne acheté plusieurs années auparavant… Finement stressée à l’idée de mal faire devant ma mentor (ma gestion du stress n’est pas encore optimale), je n’ai pas réussi à lui mettre car Bashshar partait voir ailleurs systématiquement… Dépitée (et n’étant pas une fan absolue du likorne), j’étais prête à abandonner.
C’est finalement Laurence qui lui a enfilé, avec patience et sans aucun problème, très calmement.
Cet exemple illustre très bien le principe de contagion émotionnelle, que je présenterai dans un futur article !
(Il illustre aussi très bien le chemin qu’il me reste à parcourir dans cette discipline !)

Deux solutions s’offrent à vous.

=> Vous pouvez utiliser le leadership dominant, soit par des outils coercitifs (embouchure ou ennasure plus forte, éperons, cravache et j’en passe), soit par la résignation acquise.

Je m’explique : la plupart des méthodes dites « éthologiques » actuelles utilisent un leadership dominant (je fais bouger les pieds de mon cheval en bougeant moi-même le moins possible). Pour atteindre ce résultat chez un cheval dit « dangereux » sans briser physiquement le cheval, ces méthodes utilisent la résignation acquise comme premier outil.
(Pour info : en anglais, débourrer un cheval se dit « to break a horse », littéralement « casser un cheval », non pas pour exprimer une cassure physique, mais exprimer la cassure mentale qui s’exerce quand le cheval cède et s’abandonne aux mains de l’humain)
Dans ces méthodes, quand l’humain veut faire reculer un cheval (premier exercice qu’ils mettent en place, le plus souvent), il commence tout doucement puis de plus en plus fort tant que le cheval dit « non » (ne bouge pas ou bouge différemment de ce que souhaite l’humain ; on est alors dans du P+ pour les spécialistes), puis relâche la pression dès que le comportement souhaité est obtenu (R-) et pour ceux qui sont en positif, donne une récompense (clicker ou alimentaire ; on est dans du R+).
Le cheval associe alors : « réponse rapide = moins de stress » et « réponse adaptée = récompense ». Il ne fonctionnera alors plus que par ces 2 principes, cherchant dès qu’il est en compagnie de l’humain à faire ce que l’humain lui demande, même si l’humain n’a pas conscience qu’il lui demande.
On constate d’ailleurs que peu de chevaux travaillés intensivement par ces méthodes ont des changements de points de focus réguliers avec leurs humains : ils ne sont plus dans la réflexion mais dans l’action-réaction et l’obéissance.
C’est une très bonne chose si vous avez des objectifs spécifiques à atteindre avec votre cheval, et passé un certain niveau de communication et d’échange avec le cheval, je lui demande alors la possibilité d’avoir cette relation dans des moments définis.
Mais c’est à mes yeux et dans ma progression de travail, une très mauvaise chose que de l’instaurer en première intention comme mode de communication avec le cheval, car on est loin du respect du consentement…

=> L’autre solution, c’est d’utiliser (vous l’aurez compris) les 3 autres leaderships de manière progressive pour redonner confiance en lui-même à votre cheval.
Comme dit précédemment, on commence par du leadership passif, puis du leadership de soutien et enfin du leadership assertif.

Le leadership passif nous permet d’expliquer au cheval « dangereux » que désormais, il a la possibilité de fuir toute interaction indésirable. On peut pratiquer le FBT en passif de l’autre côté de la clôture du pré, si c’est le seul endroit où il vous accepte ! Ou au contraire, il peut apprécier votre présence proche et craindre votre présence distante. Chaque cheval est unique.
Via le leadership passif, on peut travailler sur la confiance en soi pour transformer un stress négatif en un stress positif, étape par étape. Comme l’humain prend des bons choix et respecte le consentement du cheval, on aboutit naturellement à une confiance mutuelle renforcée et une confiance en soi suffisante pour progressivement affronter de plus gros démons : les poubelles, la selle, la mise à la longe, etc.
Cela prend du temps, certes. Mais on verra dans la partie suivante que ça ne prend pas « tant » de temps que ça, par rapport à la durée de vie d’un cheval… Et surtout, les bénéfices sont immenses et durables. Pas de risque « d’oubli » ou de « perte d’apprentissage ».
Le seul risque, c’est si un cheval travaillé de cette manière retombe dans des mains « dominantes »… Il peut alors retomber dans ses vieux travers.

On vit pas chez les bisounours, ça peut pas marcher ton truc !

Capture d’écran d’une vidéo prise par moi-même, de Morue en balade en main après 8 mois de travail et 2 blessures. Désolée pour la qualité moyenne, cette archive commence à dater… J’ai investi dans un meilleur matériel de capture depuis, je pourrai vous offrir de meilleures vidéos à l’avenir !
J’aime habituer le cheval à ne pas me voir lorsqu’on est à pied, pour l’habituer à ce qu’il ne me voit plus quand je suis montée. Je peux donc me mettre à toutes les positions autour de lui et notamment plusieurs mètres derrière. Dans ces moments-là, je laisse au cheval l’entière responsabilité de ses décisions : c’est lui qui décide pour nous deux.
Ce sont des moments qui sont précieux pour la confiance en soi du cheval, la confiance en son cheval du cavalier et l’autonomie du cheval.

Pour vous montrer l’inverse, je vais vous donner la progressivité du travail sur un exemple. Alors certes, un exemple n’est pas une preuve scientifique, mais je n’ai pas la possibilité de faire une étude de cohorte avec un groupe « traditionnel », un groupe « positif » et un groupe « FBT » avec un nombre significatif de chevaux dans chaque… Donc il faudra vous contenter d’un exemple que je considère représentatif.
(Si des éthologues veulent se lancer dans cette étude, je serais ravie de participer, d’une manière ou d’une autre ! )

Pour respecter l’anonymat des propriétaires de cette jument, je vais l’appeler Morue. Son surnom le plus courant quand je l’ai rencontrée…

J’ai rencontré Morue à ses 5 ans. C’était une pur-sang réformée de courses, rachetée par des débutants qui l’avaient à peine montée avant mon arrivée, et très mal travaillée (aux dires des propriétaires) par une BPJEPS.

Après quelques recherches, j’apprends que Morue n’a pas été facile lors des courses : débourrage très agité, jument « caractérielle » et hétéro agressive, elle a été réformée pour un manque de vitesse et une trop grande complexité à la manipulation.
Dès yearling, elle avait obtenu le label « compliqué »…

Après sa réforme, Morue a passé du temps au pré, à ne rien faire d’autre que des balades épisodiques qui ne se passaient pas trop mal. Cependant, impossible de l’emmener en carrière…
Puis Morue a été rapprochée de ses propriétaires et a vécu en box, sans sortie en paddock ni contact avec les congénères.
Elle y est devenue de plus en plus agressive, jusqu’à faire des sauts de mouton en main. Elle était agitée au montoir et ingérable en carrière. Ses propriétaires n’ont même pas réussi à l’emmener en balade.
A l’inverse, ses rares interactions avec des congénères la laissaient de marbre : je l’ai vue se faire mordre par un hongre (très stressé, comme présenté précédemment) et ne pas bouger une oreille…
Elle alternait entre une extinction complète de sa volonté (résignation acquise) et des explosions ingérables.

Pour le spoiler, Morue est devenue une jument à la communication très fine et très fluide. Sa confiance en elle l’a aidée à s’intégrer à plusieurs troupeaux (elle a déménagé 5 fois depuis ma prise en charge). Une fois ses douleurs physiques prises en charge, tous les professionnels l’entourant ont pu attester de son bon caractère, de sa douceur et de sa gentillesse.
Toutes les personnes l’ayant connue avant ont été impressionnées par sa transformation, ceux qui l’ont connue après ne me croyaient pas quand je leur parlais de nos débuts.
Cependant, à mes yeux il n’y a pas eu de miracle : c’est une jument qui ne souhaite que la paix et seule son incompréhension face à son environnement (et ses douleurs) causait l’agressivité de ses comportements.

Morue vivant en box, je n’ai pas pu commencer mon travail au pré comme je le fais aujourd’hui. J’ai donc pris le risque de la sortir en licol + longe de 10m pour lui laisser autant de liberté que possible dans un espace de vie comme une écurie.
> Le premier jour, j’ai eu ses postérieurs à 5cm de mes oreilles dès la sortie du box… Nous avons simplement marché dans tout le terrain des écuries, pour faire connaissance et évaluer sa capacité à réfléchir.
> Le second jour, j’ai souhaité travailler en liberté dans la carrière, mais la jument s’y est immédiatement satellisée en galop de course.
> Le troisième jour, j’ai essayé de travailler en liberté en manège : l’environnement y était plus calme et la jument s’est rapidement calmée. La proximité des congénères dans les box collés au manège y a grandement aidé. Ce manège a donc été mon espace de travail principal durant les premières semaines.

Tant que Morue paniquait dans le manège, je restais agenouillée au centre, sans la regarder. Dès qu’elle se calmait, je me redressais pour commencer mes interactions.
Mon objectif premier était de pouvoir faire le trajet box-manège en sécurité : j’ai donc ciblé mon travail autour de la position à gauche de sa tête (celle qu’on prend lors d’une marche en main).
> Dès que Morue s’arrête pour regarder quelque chose, je m’arrête. Si elle change de point de focus (regarde autre chose ou écoute un voisin de box, par ex), je me déplace un peu. Le but est de se déplacer au meilleur moment possible : lors d’une réflexion mais aussi lorsqu’elle mâchouille ou souffle ou encore avant qu’elle ne parte dans du stress négatif.
Parfois je me déplace avant même qu’elle se mette en réflexion car elle est en gel mental sur un élément pouvant la faire « exploser » : mon déplacement l’incite à sortir du gel pour aller dans la réflexion. Si l’élément de stress est ma propre position, mon déplacement se fait vers une position qu’elle préfère nettement.
Si elle se remet en mouvement, soit elle part dans un pas « lent » (que je peux suivre) et je la suis en essayant de rester à la même place ; soit elle part en fuite (un pas trop rapide pour le suivre ou une autre allure), je me déplace dans la direction opposée avec la même intensité. Chaque départ en fuite est un échec : mon timing de déplacement n’était pas bon, j’ai trop attendu pour une réflexion et du coup elle est partie en fuite…

Le leadership passif est un fil de funambule avec un cheval « dangereux » : leur zone de confort est tellement restreinte que la moindre sortie nous précipite dans le vide… L’avantage du leadership passif, c’est qu’il nous donne la possibilité de rester sur le fil et très progressivement d’élargir ce fil à une crête de montagne puis à un plateau puis au monde entier (on agrandit la zone de confort par prise de confiance en soi).
Pour ce faire, on joue avec notre timing, on apprend qu’il vaut mieux arrêter trop tôt que trop tard ; on joue avec notre patience, on apprend que ce qui est acquis par confiance est acquis durablement ; on refrène nos envies, on apprend à ne pas vouloir un résultat visible dès la première séance, ni même la première semaine ou le premier mois…

Mes sessions « d’apprivoisement » peuvent durer plusieurs heures. Dans cette écurie, j’ai eu la chance de venir aux heures creuses et les autres cavaliers (par peur de la jument et par respect pour ce travail) me laissaient la place libre. Je pouvais faire des sessions de 3h sans être trop dérangée. Durant ces 3h, je ne suis pas intensément dans le leadership passif. Par moments, je réponds à tous les changements de point de focus de la jument. A d’autres, je fais des pauses, m’étire, m’assied.
C’est un travail d’endurance mentale, de manière similaire à la méditation : il faut savoir respecter sa capacité à enchaîner les minutes voire les heures…

Avec Morue, le changement a été visible très rapidement : la jument ne demandait qu’à être calme, elle avait juste besoin d’une oreille qui l’écoute.
> En deux semaines, elle marchait en main dans toute l’écurie sans tension particulière : mais uniquement si on allait là où elle souhaitait/voulait bien aller. Si je lui proposais la carrière au lieu du manège, soit je respectais son « non » et on faisait demi-tour, soit je m’exposais au risque qu’elle explose comme au début… Elle avait confiance en mon écoute, mais pas encore dans ma prise de décision.

C’est là qu’intervient le leadership de soutien. Toujours en liberté et dans le manège, j’ai peu à peu arrêté de répondre à tous ses murmures, j’ai commencé à essayer de les prédire.
> Quand j’entendais quelqu’un marcher dans l’allée, je savais qu’elle allait lever la tête une fraction de seconde plus tard : je faisais un pas dans la direction du bruit juste avant sa réaction.
> Quand elle allait à la porte du manège pour voir qui marchait, je me mettais en mouvement une fraction de seconde avant elle.
Comme je savais comment elle allait réagir dans cet environnement spécifique, je pouvais prédire la plupart de ses comportements et les imiter une fraction de seconde avant elle.

Par association, la jument a commencé à se dire que mes décisions étaient systématiquement les bonnes, puisque c’était les mêmes que les siennes. Cette association renforce sa confiance en moi ainsi que sa confiance en elle.
En parallèle, chaque fois qu’elle était dans un état de gel mental ou que sa tension montait, je marchais/courais/bougeais autour d’elle pour « forcer » le changement de point de focus et donc la sortie du gel vers la réflexion.
Quand elle a trouvé le contact physique confortable, j’ai aussi ajouté le balancement comme outil de sortie de gel mental : je posais ma main sur elle et j’y imprimais un balancement lent et doux pour favoriser la réflexion. Cette association « balancement = réflexion » est utile dans la suite du travail pour favoriser la réflexion quand on est monté ou en longe (et donc dans l’incapacité de sautiller partout pour forcer le changement de point de focus).

> Au bout d’un mois, nous avions atteint une confiance mutuelle suffisante pour aller n’importe où : un coup elle prenait la décision d’aller dire bonjour au copain, un coup je prenais la décision d’aller explorer un autre coin du terrain.
Son mieux-être s’est fait ressentir dans beaucoup de situations, notamment sociales : elle avait retrouvé le réflexe de « si ça ne me plaît pas, je m’en vais ». Quand elle allait à la porte d’un box dire bonjour, si le cheval montrait des signes de tension ou d’agressivité, elle partait calmement en voir un autre.
En parallèle, sa confiance en elle, en moi et en nos décisions mutuelles nous a permis de faire des balades en main en forêt, ce qui n’était plus possible au début.

Ses rares comportements de stress négatifs étaient du type fuite en cas de surprise : en guise de fuite, elle tournait autour de moi pour se réfugier dans mon dos.
Dans ces moments, elle attendait dans un état de gel mental ma décision pour prendre la sienne.
Si je souhaitais renforcer sa confiance en moi, je prenais une décision de mouvement (je pars pour m’éloigner du stress). Si je souhaitais renforcer sa confiance en elle, je prenais des décisions de curiosité : je m’accroupis, je me redresse, comme pour évaluer la taille du stress, puis je fais un pas en avant, un autre à droite, pour observer ce stress, et enfin je me redresse en relâchant toute tension musculaire et je respire un grand coup.
La jument me suit dans ces décisions et réalise que la curiosité est un bon moyen pour soulager une tension de stress : on favorise les bons comportements face à un stress futur, soit la réflexion, la curiosité, la cession et le jeu.

Ce travail a un défaut : si quelqu’un d’autre manipule la jument sans appliquer ce travail d’écoute alors que toute la confiance et la communication ne sont pas acquises, non seulement une partie du travail est perdue (ce qui n’est pas grave), mais en plus cette personne se met en danger car la jument va exploser « sans prévenir », puisque ses avertissements seront discrets (le but du travail) mais que ses vieux réflexes seront tout aussi intenses…
Il est donc primordial d’investir le propriétaire et tous les cavaliers du cheval dans ce travail, afin que la communication soit fluide à l’avenir mais aussi pour que toute interaction durant cette phase du travail soit perçue comme positive tant par le propriétaire que le cheval…

Lorsque ce travail est acquis, on peut se lancer dans le leadership assertif. On aborde alors le travail musculaire du cheval, avec l’introduction de barres au sol par ex.
Ce travail pourra se poursuivre en leadership assertif si les installations le permettent (terrain varié notamment) ou en leadership dominant.
Il se poursuit sur le travail monté si les conditions le permettent puis sur le travail de sport si le cheval et le propriétaire le souhaitent.

Mon observation personnelle est que le cheval accepte très volontiers le leadership dominant quand il sait qu’il a la liberté de dire non ; il devient même possible de forcer un cheval à tolérer un stress sans qu’il devienne négatif car il sait que le reste du temps, sa parole est respectée. Cependant, c’est une chose dont il ne faut pas abuser car on retombe vite dans nos travers de « fais ce que je te dis et tais-toi » et on perd tout le travail mené jusqu’alors…
Je n’utilise cet outil que pour faire respecter les règles de sécurité primaire (ne te mets pas en danger, ne mets pas les autres en danger), comme traverser une route.

Ressources

Pour tous ceux intéressés pour un approfondissement sur le sujet du FBT, je vous mets dans cet article toutes les ressources accessibles :

L’entrée dans le groupe de suivi du projet étant dépendant de la cotisation au patreon, je ne mettrais pas le lien ici, mais je vous encourage fortement à nous rejoindre… Des heures et des heures de ressources disponibles, sur des sujets variés et passionnants ! 

1 réflexion au sujet de “[Travail] FBT, communication et consentement”

  1. A reblogué ceci sur Mettre pied à terreet a ajouté:
    Dans « pied à terre » il est possible de parler des bonnes pratiques mises en oeuvres dans le respect des cavaliers et de leurs chevaux. Ce qui est marquant dans cet article, c est la.capacite de son auteur à expliquer pas à pas les etapes qui favoriseront des liens qui dépendront de l etat d esprit dans lequel nous sommes. Une empreinte personnalisée dans cette relation qui reste individuelle et unique

    J’aime

Laisser un commentaire